Page:Poésies de Malherbe.djvu/17

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Régnier, neveu de Desportes, un de ces poètes continuant Ronsard avec une décence et une retenue qui laissaient trop souvent regretter la fougue et la hardiesse du maître, mena certain jour le lyrique dîner avec lui chez son oncle. On était à table, et le potage était servi. L’abbé se leva et offrit galamment à Malherbe d’aller lui chercher dans sa chambre un exemplaire de ses Psaumes. « Laissez, dit Malherbe, je les connais, et j’aime mieux votre potage. » — Desportes reprit sa place sans mot dire. Le repas s’acheva en silence ; on se sépara froidement, et Régnier s’en alla faire la belle satire qui commence par ce vers :

Rapin, le favori d’Apollon et des Muses, etc.

Satire IX.

C’est une éloquente invective contre Malherbe et son école ; c’est en même temps le tableau le plus animé que nous ayons de la situation des deux écoles rivales, et un commentaire de cette satire serait l’histoire complète de la poésie de l’époque.

Pour résister à la ligue qui le menaçait, Malherbe, de son côté, se mit à compter ses disciples.

Mais avant d’assembler les élèves autour de lui, entrons un moment chez le maître. Il avait alors cinquante ans. C’était un homme grand et bien fait, l’œil fier et la moustache retroussée, quelque chose d’impérieux dans sa parole et de brusque dans ses mouvements, un air de puritain dans toute sa personne. Peu prodigue de phrases, il avait d’ailleurs la voix sourde et articulait mal. « Je suis, disait-il gaiement dans la langue de Rabelais, je suis de balbul en balbutie. » Mais il ne voulait pas qu’autre que lui le remarquât. Racan s’excusant un jour de n’avoir pas entendu ses vers, parce que, disait-il, il en avait mangé la moitié : « Mordieu ! ils sont bien à moi, dit Malherbe, et si vous me fâchez, je les mangerai tous ! »

Son logis était simple et austère comme lui ; c’était