Page:Poésies de Malherbe.djvu/20

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Un grand critique de nos jours a représenté avec cette verve pittoresque qu’on lui connaît les derniers disciples de Ronsard groupés ou plutôt rangés en bataille autour de la gigantesque édition de mademoiselle de Gournay. Ce fut aussi autour d’un Ronsard que Malherbe convoquait ses élèves ; mais ce Ronsard, il en avait effacé la moitié ; et comme on lui demandait s’il approuvait ce qu’il n’avait pas effacé : « Pas plus que le reste, répondait-il. — On pourrait le croire après votre mort, dit Colomby. — C’est vrai ! » dit Malherbe, et tout fut effacé. Pauvre Ronsard ! il ne lui manquait plus que d’aller tomber des mains de Malherbe dans celles de Boileau. Aujourd’hui que la nationalité de notre langue est sauvée, remercions M. Sainte-Beuve d’avoir été pieusement recueillir les belles inspirations de Ronsard jusque sous les ratures de Malherbe.

Veut-on savoir jusqu’à quel point Malherbe était jaloux de l’autorité qu’il exerçait dans son école ? Un bonhomme d’Aurillac, où Maynard était président, s’en vint un soir frapper à la porte du cénacle, demandant si monsieur le président n’y était pas. « De quel président me parlez-vous ? dit brusquement le maître en se levant, il n’y a que moi qui préside ici. »

Pour rendre plus docile à ses leçons l’esprit de ces honnêtes gentilshommes, il leur disait que c’était folie de vanter sa noblesse ; et, de peur que le marquis de Racan ne fût tenté de lui remontrer quelque chose, et de l’interpeller du haut de son donjon de Touraine, il ajoutait, s’adressant à lui, que plus cette noblesse était ancienne, plus douteuse elle était.

Il serait ridicule de voir dans l’école de Malherbe une sorte de sénat souverain institué pour fonder une constitution grammaticale et poétique, une Sorbonne littéraire établie pour résoudre les cas de conscience en poésie. Non, c’était simplement une réunion d’esprits sages et éclairés assemblés pour deviser entre eux du droit d’initiative de l’écrivain en fait de langage, et de