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LIVRE I.

L’autre qui fut gagné d’une sale avarice,
Fit un prix de ta vie à l’injuste supplice ;
Et l’autre, en te niant, plus que tous a failli.

C’est chose à mon esprit impossible à comprendre,
Et nul autre que toi ne me la peut apprendre,
Comme a pu ta bonté nos outrages souffrir.
Et qu’attend plus de nous ta longue patience,
Sinon qu’à l’homme ingrat la seule conscience
Doive être le couteau qui le fasse mourir ?

Toutefois tu sais tout, tu connois qui nous sommes,
Tu vois quelle inconstance accompagne les hommes,
Faciles à fléchir quand il faut endurer.
Si j’ai fait, comme un homme, en faisant une offense,
Tu feras, comme Dieu, d’en laisser la vengeance,
Et m’ôter un sujet de me désespérer.

Au moins, si les regrets de ma faute avenue
M’ont de ton amitié quelque part retenue,
Pendant que je me trouve au milieu de tes pas,
Désireux de l’honneur d’une si belle tombe,
Afin qu’en autre part ma dépouille ne tombe,
Puisque ma fin est près, ne la recule pas.

En ces propos mourants ses complaintes se meurent :
Mais vivantes sans fin ses angoisses demeurent,
Pour le faire en langueur à jamais consumer.
Tandis la nuit s’en va, ses lumières s’éteignent,