Page:Poésies de Malherbe.djvu/8

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prieur qui l’eût fait. » Il donnait noblement pour raison à la sévérité de ses jugements qu’il ne convenait pas à un prince de faire un ouvrage médiocre.

La première passion qui inspira des vers à Malherbe eut pour objet une jeune et belle Provençale que le poète a quelque part appelée Nérée, anagramme sous lequel il est aisé de retrouver ce nom de Renée, si commun en Provence. Il l’aima vainement ; et, quoiqu’il ne fût pas homme, c’est lui qui parle, à courtiser longtemps qui ne le payait de retour, il soupira pendant quatre années. Lorsqu’il se sentit enfin la force de rompre sa chaîne, il jeta pour adieu à la femme qu’il avait aimée quelques stances assez fières, mais dont le dépit éloquent décèle encore la passion.

. . . Vos jeunes beautés flétriront comme l’herbe
Que l’on a trop foulée, et qui ne fleurit plus.

Si je passe en ce temps dedans votre province,
Vous voyant sans beautés, et moi rempli d’honneur,
Car peut-être qu’alors les bienfaits d’un grand prince
Marîront ma fortune avecque le bonheur :

Ayant un souvenir de ma peine fidèle,
Mais n’ayant point à l’heure autant que j’ai d’ennuis,
Je dirai : Autrefois cette femme fut belle,
Et je fus autrefois plus sot que je ne suis.

Mais quelque dédaigneuse fierté que respirent ces vers, dix-huit ans après, c’est-à-dire en 1604, Malherbe trouvait encore dans le souvenir de Nérée quelque chose des inspirations de sa jeunesse.

La protection du grand-prieur le rendit plus heureux auprès d’un président du parlement d’Aix, Coriolis, dont il épousa la fille, déjà veuve d’un conseiller. Rien dans les mémoires contemporains, rien dans les œuvres de Malherbe, sur cette époque de sa vie. Malherbe est de tous les poètes le moins intime, le moins fécond en épanchements personnels. Il aima tendrement les siens, mais de cette affection austère, qui supprime comme indignes de l’homme les signes extérieurs des sentiments les plus légitimes. Pendant une maladie de sa femme,