Page:Poésies de Schiller.djvu/143

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une ardeur sauvage et jette, dans sa noble colère, le chariot au bord de l’abîme. « C’est bien, dit le fermier, je ne confierai plus une charrette à cette bête fougueuse : l’expérience rend sage. Demain je dois conduire des passagers, je le place en tête du convoi, il m’épargnera deux chevaux, et les années le calmeront. »

Dans le commencement tout alla bien : le léger coursier s’anime, galope, entraîne rapidement la voiture. Mais qu’arrive-t-il ? les yeux tournés vers les nuages et inaccoutumé à toucher le sol de son pied, bientôt il abandonne le chemin, et, fidèle à sa puissante nature, il s’élance à travers les bruyères et les marais, les champs ensemencés et les broussailles. Le même vertige saisit les autres chevaux : en vain l’on crie, les rênes sont impuissantes, jusqu’à ce qu’enfin, au grand effroi des voyageurs, la voiture ébranlée, disloquée s’arrête sur la cime d’une montagne.

« Cela ne va pas, dit le fermier Jean d’un air chagrin, et cela n’ira jamais ; voyons si par le travail et le jeûne je ne pourrai vaincre cet enragé. » L’épreuve est faite, bientôt le noble coursier est maigre comme une ombre. « Enfin m’y voilà, dit Jean, allons, à l’œuvre, attelez-moi ce cheval à la charrue avec mon plus fort taureau. »

Aussitôt fait que dit. On voit ce ridicule attelage