Page:Poe - Histoires extraordinaires (1869).djvu/40

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cination laissant d’abord place au doute, bientôt convaincue et raisonneuse comme un livre ; — l’absurde s’installant dans l’intelligence et la gouvernant avec une épouvantable logique ; — l’hystérie usurpant la place de la volonté, la contradiction établie entre les nerfs et l’esprit, et l’homme désaccordé au point d’exprimer la douleur par le rire. Il analyse ce qu’il y a de plus fugitif, il soupèse l’impondérable et décrit, avec cette manière minutieuse et scientifique dont les effets sont terribles, tout cet imaginaire qui flotte autour de l’homme nerveux et le conduit à mal.

L’ardeur même avec laquelle il se jette dans le grotesque pour l’amour du grotesque et dans l’horrible pour l’amour de l’horrible, me sert à vérifier la sincérité de son œuvre et l’accord de l’homme avec le poëte. — J’ai déjà remarqué que, chez plusieurs hommes, cette ardeur était souvent le résultat d’une vaste énergie vitale inoccupée, quelquefois d’une opiniâtre chasteté, et aussi d’une profonde sensibilité refoulée. La volupté surnaturelle que l’homme peut éprouver à voir couler son propre sang, les mouvements soudains, violents, inutiles, les grands cris jetés en l’air, sans que l’esprit ait commandé au gosier, sont des phénomènes à ranger dans le même ordre.

Au sein de cette littérature où l’air est raréfié, l’esprit peut éprouver cette vague angoisse, cette peur prompte aux larmes et ce malaise du cœur qui habitent les lieux immenses et singuliers. Mais l’admiration est la plus forte, et d’ailleurs l’art est si grand ! Les fonds et les accessoires y sont appropriés aux sentiments des personnages. Solitude de la nature ou agitation des villes, tout y est décrit nerveusement et fantastiquement. Comme notre Eugène Delacroix, qui a élevé son art à la hauteur de la grande poésie, Edgar Poe aime à agiter ses figures sur des fonds violâtres et verdâtres où