Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/187

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


la
BARRIQUE D’AMONTILLADO




J’avais supporté du mieux que j’avais pu les mille injustices de Fortunato ; mais, quand il en vint à l’insulte, je jurai de me venger. Vous cependant, qui connaissez bien la nature de mon âme, vous ne supposerez pas que j’aie articulé une seule menace. À la longue, je devais être vengé ; c’était un point définitivement arrêté ; — mais la perfection même de ma résolution excluait toute idée de péril. Je devais non seulement punir, mais punir impunément. Une injure n’est pas redressée quand le châtiment atteint le redresseur ; elle n’est pas non plus redressée quand le vengeur n’a soin de se faire connaître à celui qui a commis l’injure.

Il faut qu’on sache que je n’avais donné à Fortunato aucune raison de douter de ma bienveillance, ni par mes paroles ni par mes actions. Je continuai, selon mon habitude, à lui sourire en face, et il ne devinait pas que mon sourire désormais ne traduisait que la pensée de son immolation.

Il avait un côté faible, — ce Fortunato, — bien qu’il fût à tous égards un homme à respecter, et même à craindre. Il se faisait gloire d’être connaisseur en vins. Peu d’Italiens ont le véritable esprit de connaisseur ; leur enthousiasme est la plupart du temps emprunté, accommodé au temps et à l’occa-