Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/285

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notre mort vit, à un certain moment, s’élever quelque vigoureuse intelligence luttant bravement pour ses principes dont l’évidence illumine maintenant notre raison, insolente affranchie remise à son rang, — principes qui auraient dû apprendre à notre race à se laisser guider par les lois naturelles plutôt qu’à les vouloir contrôler. À de longs intervalles apparaissaient quelques esprits souverains, pour qui tout progrès dans les sciences pratiques n’était qu’un recul dans l’ordre de la véritable utilité. Parfois, l’esprit poétique, — cette faculté, la plus sublime de toutes, nous savons cela maintenant, — puisque des vérités de la plus haute importance ne pouvaient nous être révélées que par cette Analogie, dont l’éloquence, irrécusable pour l’imagination, ne dit rien à la raison infirme et solitaire, — parfois, dis-je, cet esprit poétique prit les devants sur une philosophie tâtonnière et entendit dans la parabole mystique de l’arbre de la science et de son fruit défendu, qui engendre la mort, un avertissement clair, à savoir que la science n’était pas bonne pour l’homme pendant la minorité de son âme. Et ces hommes, — les poètes, — vivant et mourant parmi le mépris des utilitaires, rudes pédants qui usurpaient un titre dont les méprisés seuls étaient dignes, les poètes reportèrent leurs rêveries et leurs sages regrets vers ces anciens jours où nos besoins étaient aussi simples que pénétrantes nos jouissances, — où le mot gaieté était inconnu, tant l’accent du bonheur était solennel et profond ! — jours saints, augustes et bénis, où les rivières azurées coulaient à pleins bords entre les collines intactes et s’enfonçaient au loin dans les solitudes des forêts primitives, odorantes, inviolées.

Cependant, ces nobles exceptions à l’absurdité générale ne servirent qu’à la fortifier par l’opposition. Hélas ! nous étions descendus dans les pires jours de tous nos mauvais jours. Le grand mouvement — tel était l’argot du temps — marchait : perturbation morbide, morale et physique. L’art, — les arts,