Page:Poe - Nouvelles Histoires extraordinaires.djvu/322

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instant des arbres, prenant la place de leurs aînées défuntes.

Cette idée, une fois qu’elle se fut emparée de mon imagination, l’excita fortement, et je me perdis immédiatement en rêveries. « Si jamais île fut enchantée, — me disais-je, — celle-ci l’est, bien sûr. C’est le rendez-vous des quelques gracieuses Fées qui ont survécu à la destruction de leur race. Ces vertes tombes sont-elles les leurs ? Rendent-elles leurs douces vies de la même façon que l’humanité ? Ou plutôt leur mort n’est-elle pas une espèce de dépérissement mélancolique ? Rendent-elles à Dieu leur existence petit à petit, épuisant lentement leur substance jusqu’à la mort, comme ces arbres rendent leurs ombres l’une après l’autre ? Ce que l’arbre qui s’épuise est à l’eau qui en boit l’ombre et devient plus noire de la proie qu’elle avale, la vie de la Fée ne pourrait-elle pas bien être la même chose à la Mort qui l’engloutit ? »

Comme je rêvais ainsi, les yeux à moitié clos, tandis que le soleil descendait rapidement vers son lit et que des tourbillons couraient tout autour de l’île, portant sur leur sein de grandes, lumineuses et blanches écailles, détachées des troncs des sycomores, — écailles qu’une imagination vive aurait pu, grâce à leurs positions variées sur l’eau, convertir en tels objets qu’il lui aurait plus, — pendant que je rêvais ainsi, il me sembla que la figure d’une de ces mêmes Fées dont j’avais rêvé, se détachant de la partie lumineuse et occidentale de l’île, s’avançait lentement vers les ténèbres. — Elle se tenait droite sur un canot singulièrement fragile, et le mouvait avec un fantôme d’aviron. Tant qu’elle fut sous l’influence des beaux rayons attardés, son attitude parut traduire la joie, — mais le chagrin altéra sa physionomie quand elle passa dans la région de l’ombre. Lentement elle glissa tout le long, fit peu à peu le tour de l’île, et rentra dans la région de la lumière. « La révolution qui vient d’être accomplie par la Fée, — continuai-je, toujours rêvant, — est le cycle d’une brève année de sa vie. Elle a traversé son