Page:Poictevin - Songes, 1887-1888.djvu/14

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que celui de sa retraite. Quatre mois après, on apprit ce qui était advenu. Dame libre dans un couvent, elle vivait d’un petit pain et d’un œuf par jour, s’infligeant une pénitence volontaire. Elle se laissait aller à la mort, comme elle s’était laissée aller à des distractions qu’on eût dites de follerie.

Et à Lice, il restera de tante Isabelle cette impression à peu près : elle était une femme un peu bizarre, mêlant tout, écrivant, recevant tant de lettres. À la famille essayant de la dissuader de ses mises trop habillées pour un village, cette riposte : « Gardez vos réflexions » a été admirée par la fillette. Elle la revoit de préférence dans une robe de gaze blanche à raies noires satinées. Mais trois dents du haut, dont, quand elle riait quelquefois sans éclat, de bon cœur pourtant, se laissaient voir les crochets d’or, — les religieuses l’avaient gâtée de sucreries, — ces trois dents offusquent encore Licette, qui aimerait mieux être berche que d’avoir dans sa bouche cet accrochage. Enfin, dans cette morgue, dans tout cela, il y avait quelque chose qu’on ne sait pas. Et le refrain d’une des chansons favorites de la morte, elle l’a au cœur :

Toi qui coules ton eau pure
Sur l’herbe, sous l’arbrisseau,
Que dis-tu dans ton murmure ?
Que dis-tu, charmant ruisseau ?

De la treizième à la seizième année, un lycéen de deux ans et demi de plus qu’elle, venait pendant les vacances, chez les parents. C’était un mariage possible. Dans le jardin, il lui disait le vrai nom des fleurs, comment on les soigne ; le soir, il lui définissait les étoiles, la lune. Lice, qui avait regardé par la lunette d’approche, ne croyait pas que la lune était morte ; ses montagnes lui étaient des glaciers adoucis, et puis, elle devait être habitée par du monde plus petit, mais beaucoup mieux. Les étoiles, celles-là étaient trop loin, trop brillantes, pour que jamais personne sache rien d’elles. Après tout, elle préférait courir, la ménagère aux ennuyeuses manches laissée pour le tablier à bavettes plus aisé, aller aux embriselles qui lui violacent les dents ; mais l’autre, fumant la cigarette, avait pensé l’épater. Et elle ne s’inquiète pas de son prétendu, de longtemps elle se voit fille à marier.

Pendant la guerre, les vainqueurs ont défilé invraisemblables. Elle avait aidé à enfouir l’argenterie. Leurs airs d’ogres ne lui faisaient pas baisser les yeux.

Jusqu’à dix-sept ans au moins, elle crut que s’embrasser sur la bouche amenait des enfants.

Les lys du jardin la requéraient, bien que pénibles. Elle se tendait sur eux longuement, s’en revenait entêtée, les narines jaunes. Et elle ne s’expliqua jamais pourquoi elle