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LA VICTOIRE

Moreuil à la Somme. Enfin, c’est fait. Il faut maintenant tâcher de préciser le rôle de Foch. Je l’ai prié de m’écrire un papier sur ce point. » Et Clemenceau me montre une lettre de Foch, qui n’est pas celle que celui-ci m’a lue à Beauvais. Elle est plus courte et ne propose pas d’addition précise au texte de Doullens : Clemenceau a donc évidemment prié Foch de lui remettre une lettre moins nette que la première. Foch se borne, dans celle-ci, à demander que les généraux en chef suivent ses directives. « À côté de cette lettre officielle, continue Clemenceau, il m’en a, à ma demande, écrit une, particulière que voici ; » et Clemenceau me lit une lettre de Foch, où la théorie militaire est clairement expliquée : nécessité de contre-attaquer, d’abord sur certains points, ensuite dans des secteurs plus larges ; utilité de monter ensuite une opération de grande envergure, peut-être en Italie. Mais là, Foch revendique pour lui la direction politique de la guerre (le mot y est). Je fais remarquer à Clemenceau que cette formule pourra porter ombrage aux Anglais et empêcher l’unité de commandement qui n’a pas encore été réalisée à Doullens. Clemenceau réfléchit un instant et s’écrie : « Vous avez raison, je ne montrerai pas cette lettre. »

Après quoi, il me parle de Delanney et me dit : « Si Amiens était pris, je ne voudrais pas que Delanney restât à Paris pour traiter avec les armées allemandes. — Mais, répliqué-je, même Amiens pris, les Allemands ne viendront pas à Paris ; il faut, à tout prix, leur barrer la route. — Je suis forcé de tout prévoir et je ne crois pas bon de laisser derrière nous un ami de Caillaux. Je me suis mis d’accord avec Pichon et nous vous proposerons de l’envoyer comme ambassadeur à Tokio. Il est intelligent et pourra rendre des services. »