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LA VICTOIRE

mais il y avait été appelé par la santé de sa mère. Pichon explique que d’après les déchiffrements, nous ne pouvons avoir aucune confiance en ses sympathies pour les Alliés. Il ajoute que la santé de sa mère a été une feinte, au courant de laquelle nous étions d’avance. Le cardinal répond avec une grande dignité qu’en tout cas les sentiments prêtés à une partie de l’épiscopat français ne sont pas exacts, qu’il agira, du reste, très volontiers auprès de ses collègues et même à Rome, et qu’il priera notamment l’abbé Thellier de Poncheville, actuellement parti pour Rome, de faire connaître au pape la volonté des évêques et des prêtres de France de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire. Bref, langage très patriotique et très ferme. Le cardinal ajoute, d’ailleurs, qu’à son avis, le gouvernement devrait bien interdire la campagne pacifiste de certains journaux. À quoi Pichon répond : « C’est aussi l’avis de M. le président de la République, qui ne cesse de le dire aux ministres. — Oui, riposte le cardinal, mais le président du Conseil ne veut pas oublier qu’il a été journaliste. » Pichon, qui, comme Nail, Leygues et les autres ministres, partage mon opinion, acquiesce aux paroles du cardinal.

Bien entendu, c’est avec l’assentiment de Clemenceau que le cardinal avait été appelé à mon cabinet. Il était à peine parti que Clemenceau arrive avec Ignace. Il l’avait sans doute rencontré dans la cour ou dans le vestibule. En tout cas, il me dit d’un ton joyeux : « Ah ! je viens vous surveiller, vous en faites de belles. Voilà que vous complotez avec les cardinaux ! — Oui, dis-je, et pour vous. — Allons, ça va bien. Comment a-t-il été, l’archevêque ? — Parfait. — Ah ! oui, aussi ferme patriote que vous ; de mieux en mieux. Mais je viens vous parler d’autre chose avec Ignace : l’affaire Paix-Séailles. — Je la connais