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LA VICTOIRE

a été très malheureux ; il est tombé sur un atelier passage Miollis, près de la rue Lecourbe. Je m’y rends d’urgence. On a déjà retrouvé sept corps d’ouvriers. On en recherche encore. Plusieurs blessés, dont deux grièvement. Quelques victimes sont des réfugiés de Russie. Dans la cour de l’atelier, je vois des familles groupées : pères, mères, femmes, tout en larmes, mais magnifiques de résignation. Une fois de plus, je vais à Necker et à Buffon consoler et secourir les blessés.

En rentrant, je trouve le général Duparge et Sainsère penchés sur une carte où ils tracent la ligne du front d’après les derniers renseignements. L’ennemi avance de plus en plus. La ligne allemande s’étend de Soissons aux abords de Reims par Verzy, Oulchy-le-Château, puis parallèlement à la Marne par Chartèves, Jaulgonne, près Verneuil et près Ville-en-Tardenois. Les Allemands sont à mi-chemin de Château-Thierry et de Dormans, et à soixante-dix kilomètres de Paris. La situation devient extrêmement grave.

Et ni Conseil des ministres, ni Comité de guerre. Ni les ministres, ni moi, nous ne savons rien. Clemenceau se conduit en véritable dictateur. « Mais, me disait hier Dubost, c’est un dictateur qui est à la merci des influences qui s’exercent successivement sur lui et qui agit par saccades, tantôt sous la pression de Foch, tantôt sous celle de Mandel. » Mais qu’importe si la victoire finit par nous revenir et par nous rester ? D’après ce que j’ai su hier seulement par les officiers de liaison, Foch avait préparé pour les premiers jours de juin une offensive importante dans la région de la Somme. C’est sans doute à propos de ce projet d’opérations que Clemenceau était allé, comme il l’avait dit l’autre jour, demander à Foch de