Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 10, 1933.djvu/209

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
LA VICTOIRE

pas la Marne… Pétain, continue Clemenceau, va les attaquer dans le flanc.

— Aujourd’hui ? demandé-je.

— L’opération est retardée de quelques heures, mais elle aura sans doute lieu aujourd’hui.

— Il y a eu, dis-je, à la Chambre, de fâcheuses indiscrétions à ce sujet, venues, paraît-il, de votre cabinet.

— Ah ! c’est ennuyeux, mais peut-être, après tout, cela les aura-t-il remontés.

— Oui, mais si l’opération tarde, il est à craindre que l’indiscrétion ne parvienne à l’ennemi.

— Ah ! maintenant je vais vous dire. Je persiste à croire que vous avez tort de laisser venir Briand chez vous en ce moment. Cela lui fournit l’occasion de vous faire parler. Je suis bien sûr de l’entière loyauté de votre concours, mais vous avez commis une imprudence en le recevant.

— Je n’accepterais pas que vous missiez en doute la loyauté de mon concours, mais, une fois encore, je proteste contre le reproche d’imprudence. »

J’indique à Clemenceau les visites de Dubost et de Deschanel, mais il m’écoute à peine.

— « Laissons cela. Je n’ai aucune arrière-pensée. Je ne vous ai parlé de tout cela que parce que je tiens à ce que nos relations soient cordiales.

— Il me paraît difficile de ne pas recevoir les hommes politiques qui viennent à l’Élysée.

— Vous avez raison, votre porte doit rester ouverte, mais méfiez-vous de Briand.

— Je m’en méfie un peu.

— Méfiez-vous-en beaucoup.

— Mettez-vous dans l’esprit que je n’ai pas pour lui autant d’estime ni d’amitié que pour vous.