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L’ARMÉE AMÉRICAINE

Je reçois M. Baker, ministre de la Guerre des États-Unis. Je lui parle discrètement du désordre que j’ai constaté derrière l’armée américaine.


Vendredi 4 octobre.

Ce matin, arrive Clemenceau avec Pichon. « Je désire, me dit-il, vous parler de Foch. Je ne suis pas content de lui. Il ne commande pas. Je ne m’occupe pas de ce qu’il a à commander. Je le laisse libre, mais il faut, du moins, qu’il commande ; sinon, ma responsabilité gouvernementale est engagée ; et alors, j’interviens. Eh bien, voici, d’abord l’affaire italienne. Foch était d’avis que l’armée italienne attaquât. Ce n’était pas mon opinion.

— C’était la mienne, dis-je, comme celle de Foch.

— Moi, j’étais d’avis opposé. Mais enfin, puisque Foch pensait qu’il fallait attaquer, il aurait, au moins, dû obtenir qu’on attaquât.

— Mais il n’est pas le maître et sa situation est très fausse vis-à-vis de l’armée italienne.

— Oui, mais il y a aussi les Américains. Pétain a pu vous dire ce qui se passe. C’est un vrai désarroi dans l’armée américaine. La Nacion d’hier dit qu’elle est en panne, et c’est vrai. Il y a un désordre inouï dans les convois d’arrière.

— Je l’ai, dis-je, constaté par moi-même et j’en ai touché un mot hier à M. Baker.

— Oh ! Baker ne compte pas. Il y a à Washington un bouddha, dont l’entourage est exactement comme zéro. »

Pichon l’écoute bouche bée.

Clemenceau reprend : « Il faut que ce soit Foch qui commande à Pershing et s’il n’est pas obéi, il doit faire un rapport pour le bouddha. Il n’y a que lui qui ait un peu d’autorité là-bas. Pershing avait promis de donner à Foch la moitié de l’ar-