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LA VICTOIRE

mon arrivée, le général de Laguiche, chef de notre mission militaire, était venu au-devant de moi et m’avait prévenu que Haig ne voulait pas exécuter les décisions de Versailles. Haig m’a confirmé ce renseignement. Il a ajouté en grande confidence qu’il était allé voir Lloyd George et lui avait dit : « Jamais je ne donnerai mes divisions de réserve pour constituer une armée de réserve ; j’aimerais mieux démissionner immédiatement. Vous prendrez, si vous voulez, les deux divisions anglaises que vous voulez ramener d’Italie, mais rien de plus. » Clemenceau a répondu à Haig : « Je ne puis garder ce secret pour moi ; il faut que j’en fasse part au président de la République. — Sans aucun doute, a répondu Haig, dites-le au président. Mon parti est pris. »

Comme nous sortons de mon cabinet pour aller au Conseil, j’invite Clemenceau à me précéder. « Jamais, répond-il. À la rigueur, j’accepterais, si vous étiez roi. Mais vous êtes président de la République, ce qui est beaucoup plus. » Et il s’exprime sur un ton qui empêche l’ironie de percer.

En Conseil, à un moment donné, on parle de l’avenir, de l’année 1920. Clemenceau interrompt en riant :

« Dans deux ans, nous serons tous encore là,

— J’espère bien, dis-je, que le gouvernement sera encore en fonctions, mais moi, je quitterai l’Élysée.

— Comment ? répond-il. Et la prorogation des pouvoirs ? »

Dans mon cabinet, il me dit : « J’ai des excuses à vous faire. Nous avons répondu à Wilson sans vous soumettre le télégramme. Mais nous nous sommes contentés de prier Jusserand de lui demander ce qu’il voulait dire. »

En Conseil, il rapporte sous une forme joviale