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HEURES CRITIQUES

Allemands ; vous représentez la France. Il faut que vous puissiez, au besoin, reconstituer un gouvernement. Moi, ce n’est pas la même chose. — Si, votre disparition serait même beaucoup plus grave que la mienne. Je ne me vois pas me séparant de vous. — Vous pensez bien que je ne veux pas vous jouer un tour ; je vous parle comme je me parlerais à moi-même ; je vous en donne ma parole d’honneur. — Je n’en doute pas. »

Et il part pour Compiègne. Il m’a lu, au cours de la conversation, une note que Foch a rédigée sur la situation. Cette note paraît très sage. Les Anglais, y est-il dit, doivent attaquer du nord au sud avec toutes leurs forces ; nous devons porter nos réserves à notre gauche pour maintenir ou rétablir la liaison à tout prix. La note conclut en indiquant qu’il faudrait un commandement unique pour les deux armées. Clemenceau me déclare : « Je prends la note pour bonne, sauf la fin. »

Dubost vient à son tour me voir assez longuement. Il se plaint qu’on n’ait pas écouté Micheler, et il demande que nous ayons le plus tôt possible une conversation commune avec Clemenceau et Deschanel.

Herbillon m’apporte les nouvelles qu’il a données à Clemenceau. Elles ne paraissent pas encore justifier le pessimisme de ce dernier. La rupture entre les Anglais et nous n’est pas encore accomplie ; nous sommes seulement très serrés, surtout l’armée Humbert, sur la ligne Guiscard-Chauny. On dit que les Allemands auraient forcé la Somme. Mais le renseignement n’est pas confirmé.

Je crains beaucoup le contact de Clemenceau et de Pétain ce soir. Où est le beau sang-froid de Joffre ! Romantisme et nervosité de Clemenceau : la France se défendant jusqu’aux Pyrénées. Esprit