Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/287

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à apprendre un deuil ce soir ou demain. À chaque vivat que j’entends, je pense aux soldats qui tombent sur le champ de bataille. Rentré à la préfecture, je m’enferme mélancoliquement dans mon cabinet, et je me remets à dépouiller les papiers que m’envoient chaque jour les ministres.

La ville de Nancy, que je croyais désormais à l’abri, a reçu le baptême du feu. Elle a été bombardée cette nuit, pendant une heure, par deux grosses pièces à longue portée, qui lui ont envoyé plus de quatre-vingts projectiles. Six femmes ou fillettes ont été tuées. Il y a un assez grand nombre de blessés civils. Les dégâts matériels sont très importants dans les quartiers Saint-Dizier et Saint-Nicolas. Nancy, cependant, est ville ouverte et les officiers allemands n’ont aucune excuse pour essayer de la détruire. Il semble que depuis 1870 leur conception de la guerre, loin de composer avec les lois de la civilisation et du progrès moral, soit devenue plus rétrograde et plus inhumaine.

La propagande impériale n’en persiste pas moins à intervertir les rôles et à répandre dans le monde les légendes les plus insensées. Nos troupes se serviraient de balles dum-dum. On aurait même trouvé à Longwy un appareil destiné à les fabriquer. Rien de plus faux, mais, déchaînée, la calomnie fait son chemin. L’empereur Guillaume a télégraphié au président des États-Unis. pour se porter garant de cette odieuse invention et pour protester, au nom de la vertu, contre les crimes des Français. Je suis forcé de câbler moi-même à M. Wilson pour démentir la fable que le kaiser a inconsidérément prise à son compte.

La journée se passe, comme les précédentes, dans la fiévreuse attente de nouveaux détails sur