Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/309

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Le roi Albert, lui aussi, a librement causé avec M. Klobukowski et voici en quels termes notre ministre a rapporté, par écrit, cet entretien à M. Delcassé. « La tactique défensive, a dit Sa Majesté, était la seule possible en présence de masses aussi puissamment organisées et je suis très heureux que le commandement français la pratique avec tant de méthode et de résistance vigoureuse. Durer et combattre, c’est bien la formule dont on doit s’inspirer, aussi bien en France qu’en Belgique. L’Allemagne ne pouvait espérer le succès qu’à la condition de n’être pas arrêtée dans la soudaineté de son attaque. Son plan s’est trouvé déjoué dès le début, et c’est un grand honneur pour la Belgique d’avoir contribué à ce résultat. Aussi l’irritation de l’empereur Guillaume contre nous, contre moi, est-elle grande, plus grande même qu’on ne se l’imagine… Vraiment, cette manière de faire la guerre mérite la réprobation universelle. Cette conduite n’a rien qui étonne de la part de cette oligarchie militaire, pleine de présomption et de vanité. Elle est envieuse, désordonnée, rancunière ; elle est jalouse de nos beaux monuments, de nos villes si plaisantes, du charme de nos contrées, de leur activité industrielle. Notre cathédrale de Malines a été bombardée, parce qu’elle est belle ; notre bibliothèque de Louvain, que les iconoclastes eux-mêmes avaient respectée, a été incendiée avec préméditation, parce qu’elle était unique au monde. Le vieil empereur Guillaume, qui était un homme simple, aurait résisté aux suggestions de cet entourage borné et brutal ; mais son petit-fila est enclin à la vaine gloriole ; il est admirateur du côté superficiel et théâtral des choses ; il est trop préoccupé du rôle à jouer