Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/362

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trôler nos laissez-passer. Dans les régions parcourues, la vie normale paraît suivre son cours et, n’était le va-et-vient de ces uniformes poudreux, rien ne nous rappellerait que nous sommes en guerre.

Nous arrivons à Sainte-Maure, où j’ai accompagné, il y a deux ans, le président Fallières, à l’occasion de pacifiques grandes manœuvres, et où nous avons déjeuné, dans une grande halle pavoisée, avec le grand-duc Nicolas Nicolaïevitch1. Par devoir professionnel, le généralissime russe parlait alors au général Joffre de l’éventualité d’une guerre où les armées russes et françaises auraient à combattre ensemble pour la défense des deux nations alliées. Mais combien cette hypothèse nous semblait improbable, tant l’existence de la Triple-Entente nous paraissait suffire au maintien de la paix ! Voici cependant qu’en dépit de tous nos efforts, c’est sur des champs de bataille que nos alliances ont maintenant à montrer leur efficacité ; et ce ne sont plus d’inoffensives manœuvres que je vais voir, ni des canons chargés à blanc que je vais entendre.

À Tours, nous dînons à l’hôtel du commandement militaire. Le général qui commande la région est le général Poline, un Lorrain de Metz. Il était sur le front à la tête du XVIIe corps dans l’armée de Langle de Cary, la 4e, lors des rudes combats livrés les 21 et 22 août sur la Semoy et dans la forêt de Luchy. Il avait été surpris, dans une brume épaisse, par des forces ennemies dont la présence ne lui avait pas été signalée et, à la suite d’un échec dont il n’était pas personnellement