Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 5, 1929.djvu/394

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au plus, après le déjeuner, vais-je faire une heure de marche dans la propriété dont Roy de Glotte m’a réservé l’usage. En cheminant, ma femme et moi, dans les allées jonchées de feuilles mortes, nous n’avons plus à échanger que des réflexions moroses. Notre petite chienne bruxelloise nous suit elle-même sans plaisir, étonnée de ne plus pouvoir s’ébattre dans les pelouses de l’Élysée. À la préfecture, le chat siamois, qui s’accoutume mal au bruit de la rue Vital Caries, ne daigne pas mettre les pattes dans le petit jardin défleuri. Il se promène mélancoliquement sur la crête du grand mur gris qui, par derrière, sépare des maisons voisines l’ancien archevêché.

Aujourd’hui encore, le G. Q. G. se contente de nous apprendre que nous avons gagné quelques mètres de terrain entre Meuse et Moselle, au nord de Reims et sur la Lys. Mais un télégramme de notre ministre à Copenhague, M. Bapst21, nous fait craindre un instant que les Allemands, pour ménager un succès au kronprinz impérial, ne préparent une grande attaque sur Verdun. La reine de Danemark, fille de la grande-duchesse Anastasie de Mecklembourg, notre ancienne voisine d’Èze, a, en effet, reçu hier matin du kronprinz, qui a épousé sa sœur, un télégramme daté de Stenay et ainsi conçu : « J’ai une grande joie d’avoir reçu l’ordre d’attaquer Verdun. » M. Bapst a connu la chose par une personne à qui la reine a donné lecture de ce texte, mais il s’est demandé si nous ne sommes pas en présence d’une manœuvre allemande destinée à nous dépister, d’autant plus que le télégramme a été envoyé en clair. Les soupçons de