Page:Poincaré - Au service de la France, neuf années de souvenirs, Tome 9, 1932.djvu/15

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cents mètres pour éviter le bombardement Le général Vallière, chef de notre mission auprès de l’armée anglaise, monte avec Viviani et moi. Temps très clair. Un aviatik survole Arras pendant notre séjour. Nos troupes le canonnent sans résultat. Aucun obus allemand ne tombe, d’ailleurs, sur la ville pendant que nous y sommes. Sur la promenade, dont les arbres sont encore verts, dont le gazon est doux aux pieds, un peloton de troupes françaises est rangé au milieu des ruines. Quelques généraux anglais sont là, ainsi que le prince de Teck, frère de la reine d’Angleterre. Pendant que je passe en revue le peloton, arrivent l’évêque, le préfet, le juge d’instruction ! Au prince de Teck, je remets la plaque de grand officier ; au préfet la cravate de commandeur, à l’évêque la croix de la Légion d’honneur. Mgr Lobbedey rayonne de joie.

Je remets ensuite la croix de guerre à des soldats anglais et français proposés par leurs chefs. Si monotones que soient les cérémonies de ce genre, elles ne laissent jamais de m’émouvoir. Le récit est peut-être fastidieux ; mais l’atmosphère, la vue de tous ces braves, les dangers qu’ils courent, la satisfaction qu’ils éprouvent, tout cela emporte le reste et s’empare de mon âme au point de la dominer entièrement.

Nous reprenons le train à Doullens. Il fait nuit lorsque nous arrivons à Amiens. Mais la foule a été avertie de notre venue et s’est massée sur notre passage. Elle nous acclame.

Il y a eu, dans la nuit, à la gare, des mécaniciens tués ou blessés par des avions.

Nous nous rendons d’abord au Palais de Justice, où nous sommes reçus par toute la Cour en robes rouges. Elle descend au-devant de nous par le large escalier, à peine éclairé au gaz, à cause des précautions qu’on est forcé de prendre contre