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raymond poincaré

naturellement de me dire que le général von Moltke (chef d’état-major allemand) insistait pour que l’on fît la guerre. J’appris cependant que Herr von Tschirschky avait été blâmé à cause du rapport où il disait avoir conseillé à l’Autriche la modération envers la Serbie. À mon retour de Silésie, je m’arrêtai quelques heures à Berlin (4 juillet) et j’y appris que l’Autriche était décidée à agir contre la Serbie, afin de mettre fin à un état de choses intolérable. Par malheur, je n’attachai pas sur le moment à cette nouvelle l’importance qu’elle avait… Je sus par la suite qu’au cours de la discussion décisive qui eut lieu à Potsdam le 5 juillet la question posée par Vienne avait obtenu l’assentiment sans condition de toutes les personnes autorisées, et même avec cette addition qu’il n’y aurait pas grand mal à ce qu’il en résultât une guerre avec la Russie. C’est du moins ce qui est relaté dans le procès-verbal autrichien que le comte Mensdorff (ambassadeur d’Autriche-Hongrie en Angleterre) a reçu à Londres.

D’autre part, M. Maurice Bompard, ancien ambassadeur de France à Constantinople, aujourd’hui sénateur de la Moselle, m’a fourni sur les entrevues de Potsdam les indications suivantes : À cette époque, m’a-t-il écrit, mon collègue le baron Wangenheim, ambassadeur d’Allemagne en Turquie, était à Berlin. Il rentra un peu à l’improviste à Constantinople le 14 juillet. Dans les jours qui suivirent, il rendit visite au marquis Garroni, ambassadeur d’Italie. Il lui dit alors, comme parlant à un allié : « La guerre est décidée ; la résolution en a été prise dans un grand conseil qui s’est réuni à Potsdam, sous la présidence de l’Empereur, avant son départ pour la Norvège. » Le marquis Garroni a, tout d’abord, gardé pour lui cette confidence. Il semble même que le fait lui ait paru si monstrueux qu’il a eu peine à y ajouter foi. Mais, lorsque la guerre eut éclaté, le baron Wangenheim en fit part à tout venant. M. Morgenthau, ambassadeur d’Amérique, rapporte dans ses Mémoires le récit détaillé que son collègue allemand fit à lui-même de ce Conseil, dans les premiers jours d’août 1914. Comme de juste, les indications du baron Wangenheim parvinrent assez vite à mes oreilles et, dès cette époque, j’en ai reçu la confirmation du marquis Garroni lui-même auprès de qui je cherchais à en contrôler l’exactitude.

Au surplus, dans le premier Livre blanc publié par l’Allemagne au début de la guerre, au moment où l’Empire se croyait assuré de la victoire, on n’avait pas pris autant de précautions qu’on a cru devoir en prendre depuis la défaite, et on avait laissé échapper cet aveu : Nous pouvions dire, de tout cœur, à notre alliée que nous partagions sa manière de voir, en l’assurant que l’action qu’elle considérait comme nécessaire pour mettre fin à l’agitation poursuivie en Serbie contre l’existence de la Monarchie aurait toutes nos sympathies. Nous avions conscience que des actes d’hostilité de l’Autriche-Hongrie contre la Serbie pouvaient mettre en scène la Russie et nous entraîner dans une guerre correspondant à nos obligations d’alliance.

L’Empereur n’ignorait donc pas qu’en laissant le champ libre à