Page:Poincaré - La Science et l’Hypothèse.djvu/166

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démontrer ? C’est là demander s’il est légitime, comme on le fait tous les jours, de généraliser les données empiriques, et je n’aurai pas l’outrecuidance de discuter cette question, après que tant de philosophes se sont vainement efforcés de la trancher. Une seule chose est certaine : si cette faculté nous était refusée, la science ne pourrait exister ou, du moins, réduite à une sorte d’inventaire, à la constatation des faits isolés, elle n’aurait pour nous aucun prix, puisqu’elle ne pourrait donner satisfaction à notre besoin d’ordre et d’harmonie et qu’elle serait en même temps incapable de prévoir. Comme les circonstances qui ont précédé un fait quelconque ne se reproduiront vraisemblablement jamais toutes à la fois, il faut déjà une première généralisation pour prévoir si ce fait se renouvellera encore dès que la moindre de ces circonstances sera changée.

Mais toute proposition peut être généralisée d’une infinité de manières. Parmi toutes les généralisations possibles, il faut bien que nous choisissions et nous ne pouvons choisir que la plus simple. Nous sommes donc conduits à agir comme si une loi simple était, toutes choses égales d’ailleurs, plus probable qu’une loi compliquée.

Il y a un demi-siècle on le confessait franchement et on proclamait que la nature aime la simplicité ; elle nous a donné depuis trop de démentis. Aujourd’hui on n’avoue plus cette tendance et on n’en conserve que ce qui est indispensable pour que la science ne devienne pas impossible.