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LA VALEUR DE LA SCIENCE

Il est vrai que les raisonnements de ce genre ne sont pas rigoureux, au sens que l’analyste attache à ce mot.

Et, à ce propos, une question se pose : comment une démonstration, qui n’est pas assez rigoureuse pour l’analyste, peut-elle suffire au physicien ? Il semble qu’il ne peut y avoir deux rigueurs, que la rigueur est ou n’est pas, et que, là où elle n’est pas, il ne peut y avoir de raisonnement. On comprendra mieux ce paradoxe apparent, en se rappelant dans quelles conditions le nombre s’applique aux phénomènes naturels.

D’où proviennent en général les difficultés que l’on rencontre quand on recherche la rigueur ? On s’y heurte presque toujours en voulant établir que telle quantité tend vers telle limite, ou que telle fonction est continue, ou qu’elle a une dérivée.

Or les nombres que le physicien mesure par l’expérience ne lui sont jamais connus qu’approximativement ; et, d’autre part, une fonction quelconque diffère toujours aussi peu que l’on veut d’une fonction discontinue, et en même temps elle diffère aussi peu que l’on veut d’une fonction continue.

Le physicien peut donc supposer à son gré, que la fonction étudiée est continue, ou qu’elle est discontinue ; qu’elle a une dérivée, ou qu’elle n’en a pas ; et cela sans crainte d’être jamais contredit,