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LA SCIENCE EST-ELLE ARTIFICIELLE ?

s’il regarde l’intelligence comme irrémédiablement impuissante, ce n’est que pour faire la part plus large à d’autres sources de connaissance, au cœur par exemple, au sentiment, à l’instinct ou à la foi.

Quelle que soit mon estime pour le talent de M. Le Roy, quelle que soit l’ingéniosité de cette thèse, je ne saurais l’accepter tout entière. Certes je suis d’accord sur bien des points avec M. Le Roy, et il a même cité, à l’appui de sa manière de voir, divers passages de mes écrits que je ne suis nullement disposé à récuser. Je ne m’en crois que plus tenu d’expliquer pourquoi je ne puis le suivre jusqu’au bout.

M. Le Roy se plaint souvent d’être accusé de scepticisme. Il ne pouvait pas ne pas l’être, encore que cette accusation soit probablement injuste. Les apparences ne sont-elles pas contre lui ? Nominaliste de doctrine, mais réaliste de cœur, il semble n’échapper au nominalisme absolu que par un acte de foi désespéré.

C’est que la philosophie anti-intellectualiste, en récusant l’analyse et « le discours », se condamne par cela même à être intransmissible, c’est une philosophie essentiellement interne, ou tout au moins ce qui peut s’en transmettre, ce ne sont que les négations ; comment s’étonner alors que pour un observateur extérieur, elle prenne la figure du scepticisme ?