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LA VALEUR DE LA SCIENCE

d’invariant universel ? On a par exemple introduit la fiction d’êtres qui, ayant fait leur éducation dans un monde différent du nôtre, auraient été amenés à créer une géométrie non-euclidienne. Si ces êtres étaient ensuite brusquement transportés dans notre monde à nous, ils observeraient les mêmes lois que nous, mais ils les énonceraient d’une manière toute différente. À la vérité, il y aurait encore quelque chose de commun entre les deux énoncés, mais c’est parce que ces êtres ne diffèrent pas encore assez de nous. On peut imaginer des êtres plus étranges encore, et la partie commune entre les deux systèmes d’énoncés se rétrécira de plus en plus. Se rétrécira-t-elle ainsi en tendant vers zéro, ou bien restera-t-il un résidu irréductible qui serait alors l’invariant universel cherché ?

La question demande à être précisée. Veut-on que cette partie commune des énoncés soit exprimable par des mots ? Il est clair alors qu’il n’y a pas de mots communs à toutes les langues, et nous ne pouvons avoir la prétention de construire je ne sais quel invariant universel qui serait compris à la fois par nous, et par les géomètres fictifs non-euclidiens dont je viens de parler ; pas plus que nous ne pouvons construire une phrase qui soit comprise à la fois des Allemands qui ne savent pas le français et des Français qui ne savent pas l’allemand. Mais nous avons des règles fixes qui nous