Page:Poincaré - La Valeur de la science.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
17
L’INTUITION ET LA LOGIQUE EN MATHÉMATIQUES

Il n’est pas difficile de la découvrir. L’intuition ne peut nous donner la rigueur, ni même la certitude, on s’en est aperçu de plus en plus.

Citons quelques exemples. Nous savons qu’il existe des fonctions continues dépourvues de dérivées. Rien de plus choquant pour l’intuition que cette proposition qui nous est imposée par la logique. Nos pères n’auraient pas manqué de dire : « Il est évident que toute fonction continue a une dérivée, puisque toute courbe a une tangente. »

Comment l’intuition peut-elle nous tromper à ce point ? C’est que quand nous cherchons à imaginer une courbe, nous ne pouvons pas nous la représenter sans épaisseur ; de même, quand nous nous représentons une droite, nous la voyons sous la forme d’une bande rectiligne d’une certaine largeur. Nous savons bien que ces lignes n’ont pas d’épaisseur ; nous nous efforçons de les imaginer de plus en plus minces et de nous rapprocher ainsi de la limite ; nous y parvenons dans une certaine mesure, mais nous n’atteindrons jamais cette limite.

Et alors il est clair que nous pourrons toujours nous représenter ces deux rubans étroits, l’un rectiligne, l’autre curviligne, dans une position telle qu’ils empiètent légèrement l’un sur l’autre sans se traverser.

Nous serons ainsi amenés, à moins d’être aver-