Page:Ponchon - La Muse au cabaret, 1920.djvu/249

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Le Laid, de tous côtés, surgit, impitoyable,
Comme si tout à coup prépondérait le Diable.
Le Faux singea le Vrai. La Loi se disloqua.
Le Droit, l’Humanité, la Justice… raca !
L’Art pur se comporta d’une façon absurde.
Êtres et Choses, tout devint Chinois ou Kurde.
De même, les enfants se présentèrent mal ;
Et tous offrirent un gabarit anormal,
Qui ne moururent point à peine mis au monde.
L’Amour délicieux devint banal, immonde.
La mère, en regardant son gosse, lui disait :
« — Tu es foutu comme un lion de Pertuiset[1]. »
L’Amitié ne voulut rien savoir, et l’Amante,
Aux regards de l’Amant cessa d’être charmante.
Ils n’échangèrent pas un baiser ce jour-là.
Et toute la douceur de vivre s’en alla.
Les plus clairs diamants se changèrent en ocres.
Les mieux chantants lyreurs firent des vers médiocres,
L’esprit clos brusquement à la flore des mots :
« Ah ! — disaient-ils — voilà bien le pire des maux !
Suis-je donc mort, Seigneur ? La pure et chaste flamme,
Qui brûlait pour le Beau, s’est éteinte en mon âme !
Pourquoi ce changement ? Qu’est-ce qu’on m’a volé ?…
Tout mon enthousiasme, hélas ! s’est envolé !
Je ne retrouve plus le sens de l’Harmonie,
Et je suis insensible aux œuvres du génie ! »

Et l’horreur s’étendit des villes aux hameaux.
Les pâtres, dans les champs, turent leurs chalumeaux ;

  1. Peintre de lions empaillés.