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LE « MEMBRE »

— Si nous jouions une « petite paire » proposa M. Baron. C’est un jeu intéressant, le « bluff »… et, je suis sûr qu’en notre qualité de ministre nous le savons tous…

La proposition du ministre de l’agriculture fut acceptée à l’unanimité et, pendant plus d’une heure dans le train qui roulait, roulait, à croire qu’il ne devait jamais s’arrêter, les ministres de la province de Québec, jouèrent au « bluff »… jouèrent à rendre jaloux tous les ministres de tous les ministères du monde.

Depuis le départ de Lévis, le député Mansot, justement mal à l’aise dans ce milieu par trop aristocratique pour lui qui faisait partie de la plèbe de la Chambre, n’avait pas encore risqué une parole ou un geste. Enfoncé dans le coin d’une banquette, la tête à demi sortie dans la portière, de ses yeux vagues et distraits, tantôt il fouillait au loin l’horizon, tantôt il comptait les poteaux de télégraphe… Au reste, une tristesse, une sorte de vide, de noir affreux l’avaient envahi en pleine sérénité de cette journée naissante. Comment expliquer cette tristesse d’heures qui devraient engendrer des sentiments de joie, de plénitude, de confiance dans le présent et dans l’avenir et qui pénètrent, au contraire, de la plus pesante mélancolie ?…

« Saint-Vidal ! » vient crier tout-à-coup la voix éraillée du conducteur du train d’excursion.

Une foule sympathique était massée sur la plateforme de la station. Un orchestre improvisé joua « Merry Widow » et, quand les ministres descendirent du train, la foule lança des hurrahs frénétiques. On acclama surtout le premier ministre et Donat Mansot