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le tour du saguenay

l’oreille à leur discours ; l’un d’eux parle. C’est le plus jeune.

« Œil de Hulotte », dit-il à son voisin, vieillard aux regards étincelants, « voudrais-tu nous dire, en ta haute sagesse, ce que t’apprirent, aux jours de ton jeune âge, les anciens de notre valeureuse tribu sur ces sombres lieux où nous sommes cette nuit ? »

« Pied-de-Perdrix », dit le vieil Indien, « je veux bien raconter au fils de mon frère ce qu’aux jours de ma jeunesse j’appris de ces lieux. Écoute. C’était aux premières heures de ce monde : l’Être Suprême que nous craignons tous avait noyé tous les mauvais manitous dans ce fleuve qui roule ses flots à nos pieds. Mais un encore, un démon, plein de rage, se débattait toujours dans l’abîme, voulant, invincible orgueilleux, reconquérir ce trône du monde qui l’avait rendu si jaloux aux jours de sa gloire. C’est ici même, en cet endroit, mon fils, que le bras du Tout-Puissant avait lancé, à travers les espaces, ce monstre orgueilleux qui ne cessait de vomir sa haine dans le fleuve devenu son cachot.

« Or, un clair matin, un géant merveilleux s’en vint chasser ici ; c’était Mayo, notre premier ancêtre. Il était grand comme l’un des pins qui couronnent le sommet de ces caps et il était si fort qu’il arrachait de ses bras nerveux les plus puissants sapins de nos forêts… Depuis deux jours entiers, Mayo, parti de cette baie, là-bas, où l’astre qui nous éclaire va bientôt surgir, poursuivait sa course et, pour la dernière fois, l’aube allait blanchir l’horizon avant qu’il n’arrivât dans son domaine de chasse. Que voit-il soudain ? Devant lui, le fleuve en courroux se soulève par bonds furieux et il