Page:Pouchkine - Eugène Onéguine, trad. Paul Béesau, 1868.djvu/165

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Amis, vous plaignez le sort de mon poète ? Il avait fait quelques pas à peine dans le sentier de la vie, et déjà il n’est plus ! Son cœur surabondait d’espérances qui n’ont pu germer. Qu’est devenue l’ardente inspiration et la noble impétuosité de ses chants ? Où sont ses sentiments si élevés, si hardis et si tendres ? Où sont les souhaits généreux de l’amitié, la soif du savoir et du travail, l’horreur du vice et de la honte ! — Et vous, secrètes rêveries, mirage d’une vie céleste, élans d’une sainte poésie, où êtes-vous, où êtes-vous ?


Peut-être Lensky était-il né pour le bien de l’humanité, ou du moins pour sa gloire. Peut-être sa lyre, silencieuse maintenant, eût-elle vibré longtemps dans le souvenir des siècles ; peut-être les palmes du triomphe l’attendaient-elles au seuil de son existence ; — peut-être son ombre éplorée a-t-elle emporté un saint mystère, et un chant qui eût jeté dans le monde une semence de vie ? Alors l’hymne des temps à venir et les bénédictions des cœurs auxquels il aurait entr’ouvert l’idéal, seraient venus bercer doucement son ombre, par delà les froids tombeaux !