reprochait comme une extravagance la forme symphonique
qu’il avait adoptée, l’autre ne trouvait dans le scherzo de la
reine Mab « qu’un petit bruit grotesque semblable à celui
des seringues mal graissées ». Au moins cet homme-là n’avait
peur de rien. Il écrivait pour grand orchestre, chœurs, harmonicas,
deux pianos, vingt basses à l’unisson, et même pour
trois orchestres à la fois. Aussi ses monstres musicaux, « venus
au monde avec les dents, comme Richard III », disait leur
père, connaissaient-ils parfois des succès « épouvantables ».
N’importe, ce maître des jeunes, ce romantique flamboyant,
était une autorité. Il y avait un peu plus d’étoffe en lui qu’en
tous ces fabricants de ritournelles, et c’est pourquoi Richard
Wagner consacra l’une de ses premières soirées à Roméo et
Juliette. Il fut aussi étourdi que l’avait été Berlioz à la Vestale.
La virtuosité de cette orchestration, l’audace des combinaisons
rythmiques, ce luxe d’harmonies sublimes agirent sur lui
avec violence, refoulant tout sentiment personnel. Plus d’états
d’âme, mais une figuration d’actions. Et non plus seulement
des thèmes de pensée, mais un drame symphonique entier.
Malgré quelques banalités, malgré certaine oppression dont
Wagner ne put jamais se défendre sous l’écrasante sonorité
des musiques berlioziennes, il comprit aussitôt « la grandeur
et l’énergie de cette nature d’artiste incomparable ». Ces accords
de sixte, d’autres fondés sur les modes grégoriens, ces
« dissonances des consonances » (les dissonances de 7e majeure
qu’il affectionne surtout), donnent à sa musique un caractère
tactile, une sorte de mysticité et une ampleur d’orchestre
dont Wagner se souviendra. « Nous devons honorer
Berlioz », dira-t-il plus tard, « comme le véritable rédempteur
de notre monde musical ».
Cela le console des opéras de son compatriote Meyerbeer. Car celui-ci, selon lui, ne faisait qu’exploiter les méthodes de Spontini et de Rossini en les faussant, en les déformant ; et malgré l’accueil qu’il avait reçu de lui à Boulogne, Wagner lui était hostile. « Je ne puis exister, penser et sentir comme artiste, à mes yeux et à ceux de mes amis, sans me dire et sans répéter tout haut que Meyerbeer est l’antipode de ma nature. » Et peut-être cette animosité tenait-elle tout au fond, dans ce fond inexprimable de l’âme, à une sorte de similitude, de parenté spirituelle et physique que Wagner sentait entre lui et