remparts de la ville, faisant place au prudent Créon, leur oncle.
Celui-ci médita ce jugement des dieux. Il reconnut la
valeur de l’opinion publique, comprit que le fond en était
l’habitude, la crainte, la haine de la nouveauté. La conscience
morale de l’homme était entrée en conflit avec l’intérêt plus
fort de la société, cette conscience se sépara alors pour s’établir
sous forme de religion, tandis que son noyau pratique
fonda l’État. Et cette moralité, qui avait été auparavant quelque
chose de vivant, de chaud dans la société, ne fut plus
qu’une chose pensée, un désir. Quant à l’État, il se retrancha
dans l’utile. Le seul cœur qui désormais l’habitât, cœur en
deuil où s’était réfugiée l’humanité, était celui d’une vierge,
et l’amour y croîssait. Antigone ne comprenait rien à la politique.
Elle aimait. « Elle aimait Polynice, son frère, parce
qu’il était malheureux. Que signifiait donc cet amour qui
n’était ni un amour sexuel, ni un amour maternel, ni un
amour filial, ni un amour fraternel ? C’était la plus sublime
fleur de toutes ces amours. Des ruines de l’amour sexuel
paternel, filial, fraternel, que la sociélé avait renié et l’État
démenti, naissait, nourrie de la sève indestructible de toutes
ces amours, la fleur magnifique du pur amour de l’humanité…
Antigone savait qu’elle devait obéir à l’inconsciente
nécessité de s’anéantir elle-même, et, avec cette conscience de
l’inconscient, elle fut l’être humain le plus parfait, l’amour
dans sa plénitude et sa toute-puissance. » Pas une main ne
s’éleva en sa faveur lorsqu’elle fut couduite à la mort. Et
pourtant les citoyens pleurèrent d’avoir à la condamner au
supplice. Mais l’ordre et la tranquillité exigeaient une victime
humaine. « Et la malédiction d’amour d’Antigone anéantit
l’État… » Périssent donc les dieux qui n’écoutent point la
voix du cœur douloureux des hommes ! « Sainte Antigone,
s’écrie Wagner, je t’implore. Fais flotter ta bannière pour
nous anéantir et nous racheter sous ses plis… Aujourd’hui
encore, nous n’avons qu’à interpréter fidèlement le mythe
d’Œdipe, selon son essence intime, pour y trouver une image
intelligible de toute l’histoire de l’humanité, depuis les commencements
de la société jusqu’à la dissolution de l’État. La
nécessité de cette dissolution est pressentie dans le mythe ;
c’est à l’histoire véritable de l’exécuter. »
Et d’abord à l’artiste. Au compositeur. Au révolution-