Page:Pourtalès - Wagner, histoire d'un artiste, 1948.pdf/423

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
PARSIFAL CHEZ LES FILLES-FLEURS


wagnériennes. Au cours de ses fréquents séjours à Wahnfried, Rubinstein jouait le soir les pages toutes fraîches de Parsifal ou celles du Crépuscule. Malwida vint aussi. Et Liszt, qui allait à Weimar, à Roms chez la princesse ; de Rome, chez Bülow, à Hanovre ; de Hanovre, revenait à Bayreuth. Mais l’âge le marquait de plus en plus, et son beau visage se couvrait de verrues…

Tout semblait vieillir d’ailleurs, s’endormir dans l’indifférence générale des souscripteurs et du roi. Sur la colline, le grand théâtre en briques rouges dressait sa masse aveugle, comme une cathédrale désaffectée. Tout sommeillait, sauf le cœur inquiet de Cosima et l’esprit actif de Wagner. O Qu’est-ce que l’Allemagne ? Où est l’Allemagne ? C’est la question que se posait Wagner, comme se la pose l’Allemand de tous les temps, pour qui la vraie tragédie est sa participation directe aux destinées du monde, c’est-à-dire sa valeur de réformateur. Pour l’Allemand, les rentes, le dilettantisme, le « mais il faut cultiver notre jardin » de Voltaire n’ont vraiment aucun sens. Dans le calme et le plaisir, il périt. Ce n’est pas la jouissance d’un bien qu’il recherche, mais la poursuite de ce bien, le conduisit-il à la mort. Déjà Gœthe disait cent ans avant Wagner : « Le désir de dresser la pyramide de mon existence aussi haut que possible dans les airs l’emporte sur tout le reste ; c’est à peine si je l’oublie un seul instant ». Car la victoire l’intéressait beaucoup moins que le jeu. Et il en va de même pour Wagner. L’immobilité ne lui vaut rien et ne profite même pas à son art. Il n’accepte pas d’avoir achevé sa vie. Construite sur des fondrières, elle ne peut s’attarder dans les plaines du bonheur. Et puisque les ardeurs de sa chair sont calmées, il faut réveiller celles de l’esprit, qui lui rendront l’angoisse inséparable de l’acte créateur.

Il développe maintenant ses pensées sur l’art, la philosophie, le religion, et veut en quelque sorte fonder sa morale sur les idées qui ont agité toute sa vie spirituelle : le tragique vasselage de l’argent, la dégénérescence des peuples occidentaux sous l’influence du judaïsme, qui exploite la déchéance universelle : l’excès de sensualisme et le mauvais régime nutritif des peuples civilisés ; les vices de la religion ecclésiastique « dépouillée du vrai Dieu » ; la régénération de l’homme enfin, par l’hygiène végétarienne, par l’art (seul intermédiaire entre