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LE MASQUE DE BEETHOVEN


la « Méthode de Basse chiffrée », par Logier. « Les embarras pécuniaires qui, de tout temps, troublèrent ma vie, datent de ce moment. » Ce souci ne serait d’ailleurs pas bien pesant s’il n’amenait bientôt, à cause des réclamations puis des sommations de paiement du sieur Wieck, la découverte du pot aux roses. Nouveau scandale de famille. Que faire de ce jeune dévoyé qui abandonne une école, se comporte mal dams la suivante, contracte des dettes, écrit des vers et menace de tout planter là pour composer de la musique ? Sa mère ne voit guère qu’une solution pratique : l’abandonner à son démon.

C’est ainsi que Richard apprit les éléments du violon avec Robert Sipp, violoniste du Gewandhaus ; mais il s’en dégoûta presque aussitôt. Ce n’était pas cela qu’il voulait. La virtuosité n’avait déjà à ses yeux qu’un sens tout inférieur. On le confie alors à l’organiste Gottlieb Muller, qui lui montre les rudiments du contrepoint et de l’harmonie. Autres obstacles. Le jeune homme ne veut pas comprendre la nécessité des règles, et toute la technique contrapuntique ne lui paraît d’abord qu’un aride pédantisme, un jardin clos palissadé de « défenses », où le talent et l’audace n’obtiennent aucun accès. Il faillit se décourager pour de bon ; la musique ne lui sembla plus qu’une « monstruosité mystique et sublime ; tout ce qui était règle la dénaturait ».

Son seul recours contre l’ennui sont les belles nuits solitaires passées le front sous la lampe à copier les œuvres de Beethoven. Là, au moins, les règles de Gottlieb Muller se trouvent magnifiquement violées. Là, régnent la vie, de puissants désordres, la fraîcheur, l’imprévu, parfois une sorte de folie. Cela ressemble à ces merveilleux Contes d’Hoffmann dont il faisait sa nourriture quotidienne. Même logique dans l’illogisme, comme il arrive pour tout ce qui est vrai. Même enchevêtrement de démence et de raison, comme cela se constate partout dans les phénomènes de la nature. Il y avait entre ces hommes si différents toute une philosophie commune, pessimiste et bienfaisante, sévère et ironique, parfois incompréhensible. Mais qu’importent ces obscurités et n’est-ce pas encore plus beau lorsqu’une œuvre de l’esprit ne se livre pas du premier coup ? L’oncle Adolphe, lui aussi, parle souvent par énigmes, emploie des mots inusités, s’entortille dans de vastes phrases dont il ne parvient