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CHAPITRE IV

PAN N’EST PAS MORT


Enfin Venise, le palais Vendramin. Les Wagner en ont loué tout le premier étage, qui comprend dix-huit pièces. Le duc della Grazia habite le reste de cet édifice somptueux, qu’il a hérité de sa mère la duchesse de Berri. Chez les Wagner, le mobilier est de style Louis XVI, en soie rouge ; les murs de la grande salle sont tendus de cuir vénitien ; les chambres toutese simples.

Richard retrouve ici l’atmosphère du palais Giustiniani, où vingt-cinq ans auparavant Tristan guettait sur les lagunes l’arrivée d’Yseult. Depuis cette lointaine époque, son désert s’est peuplé et les visages autour de lui ne sont plus les mêmes. Il a créé, procréé… et le poëte des morts solitaires a fini de chanter ses rêves. Mais s’il y généralement tant de regrets au cœur de ceux qui transformèrent peu à peu leurs chimères en bons ange gardiens, chez cet homme doué de manière extraordinaire pour vivre dans le présent aucune inquiétude ne subsiste. Il est un des seuls humains qui ait pu monter jusqu'au faîte de soi-même sans jeter un regard en arrière sur le vide, sans aucun tremblement. Dans cette Venise où rôdent toutes les extravagances romantiques, où flotte l’eencens des pourritures et cet affreux charme des passions fanées, Wagner n’a aucun retour vers le passé. Il est tout neuf, tout avide d’apprendre comme un instituteur d’Allemagne.