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STUDIOSUS MUSICÆ


préhensible ». Le public, étant allemand et poli, il n’y eut ni sifflets, ni protestations, mais plutôt une sorte de stupeur. L’auteur quitta la place dans la honte de lui-même.

Pour bien des jeunes gens, c’eût été l’agonie d’une puérile vanité et le renoncement à la musique : Richard Wagner écrit une ouverture pour la Fiancée de Messine et compose divers morceaux pour le Faust, de Goethe. Puis, repris par sa gloriole d’aspirant-étudiant, il fonde une corporation de collégiens à l’instar de cette Saxonia nimbée de gloire révolutionnaire. Il s’agit naturellement de porter les hautes bottes, la culotte de peau blanche, de pratiquer l’exercice de la rapière et de boire autant de bière que cela se peut concevoir. Dès le premier banquet, on le nomme subsenior. Mais ces innovations ne sont pas tolérées par le conseil de discipline et le proviseur fait savoir à l’élève Wagner que, ne se montrant jamais aux cours, on le rayait tout simplement des rôles. Et c’est ainsi qu’il quitte son troisième collège pour entrer, le 23 février de 1831, à titre d’étudiant ès arts musicaux — studiosus musicæ — dans cette vieille université de Leipzig dont il convoite depuis tant d’années les libres vertus et l’éclatant costume.

Bien qu’il ne puisse être immatriculé tout à fait régulièrement, Richard Wagner est cependant inscrit parmi les étudiants. Il suit le cours de philosophie du professeur Krug, et celui de Weiss sur l’esthétique. Krug l’ennuie assez vite ; quant à Weiss, qu’il connaît personnellement pour l’avoir entendu aux prises avec l’oncle Adolphe, si sa physionomie le séduit, l’abstraction de ses idées et l’obscurité de son style le harassent. Il en tire toutefois cette pensée, que « les problèmes les plus graves de l’esprit humain ne peuvent être résolus pour le peuple ». S’il y a une aristocratie intellectuelle, elle se situe très haut, elle plane dans les nuages. Il y montera. En attendant, il y a d’autres aventures que celles de la spéculation philosophique. Et d’abord cette fameuse Saxonia, dont les « couleurs » sont le blanc et le bleu, il y a les duels et la chanson. Parmi les vieux — ceux qui ont déjà vu s’écouler quatorze ou quinze semestres de brasserie — Richard retrouve quelques-uns des héros de septembre 1830. En particulier le nommé Gebherdt. qui porte deux hommes à bras tendu et peut arrêter un fiacre lancé au trot en l’em­-