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Page:Prieur - Notes d'un condamné politique de 1838, 1884.djvu/158

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NOTES D’UN CONDAMNÉ POLITIQUE.

Quoi qu’il en soit, les condamnés politiques canadiens venaient de recevoir l’intimation qu’ils allaient passer à une nouvelle phase de leur carrière australienne ; ils allaient devenir un objet de louage, de véritables esclaves. Pourtant, c’était une grande amélioration dans notre condition ; et la seule chose qui nous fit peine, dans cette nouvelle position, fut la pensée que nous allions être séparés les uns des autres.

Petit à petit, tous nous avions passé de l’établissement de Long-Bottom aux propriétés de nos nouveaux maîtres : un seul de nous restait encore à Long-Bottom, lorsque, par une singulière coïncidence, notre surintendant, dont la santé diminuait depuis quelque temps, tomba grièvement malade.

La Providence avait réglé qu’il ne survivrait pas au départ de ses anciens prisonniers. Il mourut entre les bras charitables du dernier canadien laissé auprès de lui ! Nul autre ne vint l’assister dans ses derniers moments, et pas un ami ne suivit son cercueil au cimetière ! Ses obsèques ne furent pas autres que celles qu’on accorde, en ces colonies pénales, aux restes mortels d’un forçat. La bière était portée sur le même dur et grossier tombereau, traîné par le même bœuf, qui avait conduit nos deux pauvres compagnons à l’hôpital ! Le cortège ne se composait que du canadien, qui conduisait la voiture, et d’un ministre protestant, qui, ne priant pas pour les morts, était venu là pour lire des versets inutiles, auxquels personne ne répondit.