Page:Procès-verbal de la Commission Municipale du Vieux Paris, 1899, 3.djvu/30

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Pourtant les constructions robustes, aqueducs et regards, qui subsistent encore au Pré-Saint-Gervais, sans être aussi importantes que le grand aqueduc de Belleville et le regard de la Lanterne, n’en sont pas moins très intéressantes et aussi dignes de classement.

La partie technique du régime de ces eaux a été traitée complètement par Belgrand, après Bonamy et Girard. Belgrand estimait que, seul des trois aqueducs qui conduisaient l’eau à Paris, celui du Pré-Saint-Gervais était construit rationnellement, en proportion des services qu’on en attendait ; exception faite, toutefois, pour les regards, qu’il trouve très beaux, mais trop vastes et d’un appareil de pierre de taille trop coûteux. Cette critique est justifiée, mais nous ne saurions nous plaindre de posséder encore, solides et résistants, ces édifices qui ne semblaient pas trop beaux à côté du service immense qu’ils rendaient en conduisant l’eau à Paris. Et lorsque, en 1612, on dressa un devis pour la construction de l’aqueduc d’Arcueil, les travaux de captation des sources au Pré-Saint-Gervais servirent de modèle-type ; notamment le regard dit « les Mausseings » fut cité comme un monument admirable et commode.

Les nombreuses petites sources qui ruisselaient sur le « flanc » du côteau de Romainville et de Belleville ont été captées, à une époque très reculée, par le prieuré de Saint-Lazare, qui en avait la disposition exclusive. Corrozet dit que les prieurs anciens ont fait venir à leurs dépens l’eau des fontaines du village de Saint-Gervais, qu’ils ont fait construire des loges pour suivre l’arrivée de l’eau jusque dans le monastère ; la conduite en « terre poitière » fut remplacée par des tuyaux de plomb par les échevins de la Ville de Paris, qui prirent à sa charge les frais d’entretien des conduites et des loges ou regards, dont pourtant les religieux de Saint-Lazare gardaient les clefs.

L’on sait aussi que la fontaine des Halles fut édifiée pour débiter une portion de l’eau du Pré-Saint-Gervais, que Philippe-Auguste s’était réservée en achetant la foire Saint-Laurent, qui appartenait au prieuré de Saint-Lazare.

Bonamy cite une ordonnance de saint Louis, en 1265, qui autorise les Filles-Dieu, dont le couvent se trouvait en dehors de l’enceinte de Philippe-Auguste, à prendre de l’eau du Pré-Saint-Gervais. De même, en 1274, un accord intervient entre le roi Philippe le Hardi et, le chapitre Saint-Merry au sujet, de la fontaine des Innocents, qui était située « vis-à-vis la rue Aubrv ou Aubert le Boucher ».

L’on ne saurait, oublier de citer la si curieuse intervention du roi François Ier en faveur de l’évêque de Castres (26 novembre 1528) :

« Aujourd’huy en l’hostel de cette ville…

De par le Roy Très chers et bien amez, nous avons été advertiz que notre amé et féal conseiller levesque de Castres veult faire bastir à la Villette quelque maison de plaisir où nous pourrions quelque foys aller passer le temps, et pour ce qu’il y a faulte d’eaux qui est lune des principalles commoditez requises a une maison et que leau des fontaines qui va en vostre ville ne passe point plus loing que ung ject d’arc de luy, il nous a supplié vous faire requeste que, pour lamour de nous, vous lui veuillez octroyer de leau desdes fontaines, pour passer par sade maison, la grosseur d’ung poix tant seulement. »

Le 11 février suivant, le Bureau de la Ville, sur une nouvelle missive très pressante du roi, autorise le « Révérend Père en Dieu, messire Pierre de Montigny, evesque de Castres, abbé de Ferrières, à tirer et faire venir « à ses dépens de la fontaine et source de la Villette descendant du Prey Sainct Gervais par le tuiau d’icelle ung fille deaux vives de la grosseur dung grain de vesce ».

L’intervention royale et la résistance des échevins sont deux éléments qui permettent de supputer pour l’époque la valeur d’un maigre filet d’eau. Et peut-être trouvera-t-on là l’indication qui aidera à expliquer l’importance monumentale des regards.

Les eaux du Pré-Saint-Gervais venaient de trois groupes et étaient jusque dans ces dernières années réunies dans un regard bâti au centre du village, d’où elles partaient en conduite forcée pour la distribution à Paris.

Le premier groupe qui a été cédé à la commune de Pantin le 26 juillet 1869, à la suite d’un éboulis considérable de carrière, étendait ses pierrées dans les terrains placés au-dessous du fort de Romainville.

Le second groupe, qui produit abondamment, prend naissance dans la commune des Lilas ; il se ramifie sous les terrains accidentés au milieu desquels ondule la route stratégique. L’eau recueillie arrive avec abondance au regard du Trou Morin : là, une belle cuvette de jauge existe encore et permet de calculer, très simplement et rapidement, l’écoulement. Les pierrées traversent les champs ; leur parcours est indiqué de points