Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/15

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chise son égoïsme, parce que du moins un tel homme ne vous prend pas en traître, etc., etc.

Pour tout dire d’un mot, le scepticisme, après avoir dévasté religion et politique, s’est abattu sur la morale : c’est en cela que consiste la dissolution moderne. Le cas n’est pas nouveau dans l’histoire de la civilisation : il s’est présenté déjà au temps de la décadence grecque et romaine ; j’ose dire qu’il ne se présentera pas une troisième fois. Étudions-le donc avec toute l’attention dont nous sommes capables ; et puisque nous ne pouvions échapper à cette dernière invasion du fléau, sachons du moins ce que nous devons en attendre.

Sous l’action desséchante du doute, et sans que le crime soit peut-être devenu plus fréquent, la vertu plus rare, la moralité française, au for intérieur, est détruite. Il n’y a plus rien qui tienne : la déroute est complète. Nulle pensée de justice, nulle estime de la liberté, nulle solidarité entre les citoyens. Pas une institution que l’on respecte, pas un principe qui ne soit nié, bafoué. Plus d’autorité ni au spirituel ni au temporel : partout les âmes refoulées dans leur moi, sans point d’appui, sans lumière. Nous n’avons plus de quoi jurer ni par quoi jurer ; notre serment n’a pas de sens. La suspicion qui frappe les principes s’attachant aux hommes, on ne croit plus à l’intégrité de la justice, à l’honnêteté du pouvoir. Avec le sens moral, l’instinct de conservation lui-même paraît éteint. La direction générale livrée à l’empirisme ; une aristocratie de bourse se ruant, en haine des partageux, sur la fortune publique : une classe moyenne qui se meurt