Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/161

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dépouiller ; puissants, pour vous humilier ; esclaves, pour vous entretenir dans votre misère.

D’abord, l’homme étant, de par la révélation nouvelle, coupable devant Dieu, le rapport qui dans la société païenne avait existé entre la Justice et la religion fut interverti. La Justice passa au second rang, la religion eut les honneurs. La dignité personnelle subordonnée à l’adoration par ce simple changement, les individualités, qui jadis relevaient de leur droit, sui juris, se trouvèrent, il est vrai, de niveau en présence de la majesté suprême, mais abaissées de toute leur hauteur.

Dans le système chrétien, en effet, l’homme, auteur du mal, ne peut pas par lui-même avoir de droits ; il est hors le droit, ex-lex, il n’a que des devoirs. Qu’il éprouve des besoins, des aspirations, une certaine fierté, une estime de sa personne ; qu’en conséquence il sollicite pour ces besoins, pour ces aspirations, pour tout ce qui compose sa dignité, image de la dignité divine, le respect des autres, on l’accorde ; mais qu’il ait droit, de son fonds, à ce respect, on le nie positivement. Il n’y a rien dans l’homme qui justifie cette exigence, elle ne se conçoit même pas. Comment la dignité de mon prochain pourrait-elle faire que je la respectasse, si je n’y suis déterminé par une autre cause ? Ne suis-je pas autant que lui ? D’homme à homme nous ne nous devons rien, à moins que l’intervention d’un tiers plus puissant, nous obligeant tous deux envers lui, ne nous crée par cette obligation un devoir mutuel.

Les modernes théoriciens du droit et du devoir, qui tout en se séparant de l’Église en suivent fatalement la logique, tiennent absolument le même langage. Pour eux aussi c’est le devoir qui est donné le premier ; le droit n’est qu’une induction, une dépendance. Ainsi parlent MM. Jules Simon, Oudot, Auguste Comte, tous les com-