Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/163

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Je l’avouerai même, la dégradation de la personne humaine, démesurément exaltée sous l’ancien culte, était une nécessité de l’époque et une condition du progrès.

La Justice, on le voit par l’exemple des enfants et des sauvages, est de toutes les facultés de l’âme la dernière et la plus lente à se former ; il lui faut l’éducation énergique de la lutte et de l’adversité. Pour arriver à la vraie notion de la Justice, pour qu’il comprît et aimât à l’égal de sa propre dignité la dignité d’autrui, il fallait que l’intraitable moi fût dompté par une discipline de terreur ; et puisque cette discipline ne pouvait se produire que sous forme religieuse, il fallait faire d’une religion d’orgueil une religion d’humilité.

L’ère chrétienne est la véritable ère de la chute de l’homme, je veux dire de la grande épreuve qui devait faire surgir en son âme le sentiment complet de la Justice.

Avant tout le chrétien doit reconnaître son indignité, s’abaisser devant son Dieu, accepter la mortification et la discipline, convenir qu’il a mérité toute espèce d’affront et de châtiment. Son premier acte, le premier mouvement de son cœur, est un acte de contrition, une demande de pardon, un recours en grâce. Ce n’est qu’à ce prix qu’il peut espérer, par le ministère du prêtre appréciateur de son repentir, interprète vis-à-vis de lui de la céleste miséricorde, et muni par grâce spéciale du pouvoir délier et de délier, la remise de sa faute et l’exaucement de sa prière.

L’organisation des pouvoirs, dans la société chrétienne, suit la même marche.

Tandis que suivant le système antérieur le magistrat qui disait le droit avait le pas sur le pontife et l’augure, dans l’économie chrétienne c’est le prêtre qui a le pas sur le magistrat. Le prince n’est en réalité que le porte-