Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/238

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heureux, qui n’ont plus besoin de travailler, de prier, de lire, de posséder aucune chose, puisqu’ils possèdent Dieu, réalisait l’idéal du christianisme, qui régnerait sans partage le jour où toute propriété serait entrée dans le système, où toute volonté serait soumise à ses lois.

Voici comment le fondateur procédait à cette grande œuvre :

Le premier et le principal moyen d’accaparement consistait dans les dotations que les familles manquaient rarement de faire à ceux de leurs membres qui embrassaient la vie cénobitique. Après avoir condamné la propriété, comme chose détestable, diabolique, digne du feu, Benoit continue :

« Si le néophyte a quelques biens, il les distribuera aux pauvres avant de faire profession, ou il les donnera au monastère par une donation solennelle, sans se réserver rien du tout, sachant que depuis ce jour il n’a pas même la disposition libre de son propre corps. C’est pourquoi, dès l’heure même, il sera dépouillé de ses habits qu’il avait sur lui, et sera revêtu des habits du monastère. Cependant on serrera dans le vestiaire les habits qu’on lui a ôtés, pour y être gardés avec soin, afin que, s’il arrivait que par la suggestion du diable il voulût sortir du monastère (ce que Dieu ne veuille permettre), on le dépouille des habits du monastère, et que, lui ayant rendu les siens, on le chasse. Toutefois, on ne lui rendra point sa promesse, que l’abbé aura retirée de dessus l’autel, mais elle sera gardée au monastère. »

Il est évident que l’alternative présentée au néophyte, de distribuer ses biens aux pauvres ou de les donner au monastère, n’est là que pour les convenances. Quel néophyte, plein du zèle de la maison de Dieu, entrant chez de si saints personnages, et ayant du bien, eût voulu vivre à leurs dépens ? Est-ce que d’ailleurs ce bien donné au monastère, qui recevait les pauvres aussi bien que les riches, n’appartenait pas toujours aux pauvres ?