Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 1.djvu/404

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le savoir ; et les peuples ne s’en scandalisaient pas : cela s’appelait toujours de la Justice. Aujourd’hui même, c’est à peine si la plus savante critique a pu voir dans le livre de Machiavel autre chose qu’une calomnie, une ironie ou une hyperbole.

Quelques mots sur cet étrange livre du Prince trouvent naturellement ici leur place.

XII

Machiavel avait parfaitement observé que l’instabilité de l’équilibre politique, quelle que soit la forme du gouvernement, a sa cause première dans l’opposition des intérêts, en autres termes, dans l’inégalité des fortunes ; il le dit expressément dans ses Décades. Ceci posé, Machiavel ne va pas plus loin ; il ne se demande pas si cette opposition est un fait de nature, ou le résultat d’une fausse opinion ; si par conséquent l’antagonisme qu’elle crée dans le gouvernement est l’expression d’une nécessité absolue, ou seulement d’une nécessité hypothétique. Machiavel s’en tient à la croyance commune. Il suppose, avec Aristote et tous les publicistes, que l’inégalité des conditions est donnée, comme celle des climats, par la nature des choses, et il part de là. Que si, par hasard, il essaye de remonter par la pensée jusqu’à la cause de ce fait premier, l’opposition des intérêts, il se jette alors dans le mysticisme, il en appelle à la loi des sphères, il se refait une mythologie. Plein de mépris pour l’Église et le catholicisme, qu’il accusait d’avoir corrompu l’Italie, ne pouvant revenir à la mythologie des anciens, Machiavel se livre à l’astrologie ; il se crée, pour le besoin de son intelligence, une religion qui répond à tout : c’est le mouvement des sphères, figure nouvelle du destin.

La société ne pouvant donc, selon Machiavel, exister que sur l’inégalité et l’antagonisme, les sphères l’ayant