Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/445

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Niez cela, et votre argumentation s’écroule : vous ne savez plus vous-même ce que vous dites. Car, lorsque vous objectez que je suis incapable par moi-même de discerner le bien du mal, et plus encore d’y conformer ma conduite, en raisonnant ainsi du bien et du mal vous supposez implicitement que j’en ai un sentiment ou une notion quelconque, par conséquent qu’il existe en moi une faculté d’appétition qui y répond ; absolument comme Pyrrhon, raisonnant de la certitude, supposait implicitement la pensée, par conséquent l’être.

VIII

Que si maintenant vous cherchez à l’existence du sens moral une explication psychologique, une raison en soi, il ne vous sera pas malaisé de la découvrir. La constitution animique de l’homme étant telle que l’instinct est subordonné à la réflexion, et que la sphère d’action de celle-ci s’agrandit sans cesse, tandis que l’instinct s’émousse et rétrograde, il en résulte que l’équilibre des affections et des appétits ne peut pas s’établir en lui de la même manière que chez les autres animaux. Il faut qu’il exerce sur les facultés que régissait l’instinct une domination proportionnelle à sa pensée même. En deux mots l’homme, parce qu’il est et devient de plus en plus intelligent, doit être d’autant plus maître de soi, animi compos : là est sa dignité. Or, telle est justement la fonction que remplit, d’abord vis-à-vis de lui-même, la conscience : c’est elle, en effet, qui ordonne les inclinations, les besoins, les passions, non-seulement pour la félicité du moment, mais pour la gloire de la vie entière. Vis-à-vis des autres son empire n’est pas moindre : c’est elle qui régit les rapports de service, d’échange, etc., alors que l’amour ou la haine, la cupidité, le caprice ou l’indifférence, menaceraient de jeter dans ces rapports une perturbation funeste. Ôtez à