Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/448

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bares se montrent souvent plus prodigues que les civilisés eux-mêmes.

Tous les hommes sentent que le moi est absolu, et, comme absolu, inviolable dans sa dignité. Aussi que de précautions, que de détours, en traitant avec lui ! Chez la plupart des nations européennes il est d’usage, parlant à une personne, d’employer le pluriel vous ; l’allemand va plus loin, il dit ils, au lieu de tu. Qu’une discussion s’élève, ce n’est jamais le moi que l’on contredit, et qui est censé se tromper ; c’est sa mémoire, son œil, son oreille, sa phénoménalité. Pour lui, il est réputé infaillible. Que ce moi soit mis directement en cause, il y a insulte, duel. Le point d’honneur, si susceptible, n’est, comme la dignité du patricien romain, qu’une forme de la Justice, sa thèse.

Le respect de la dignité acquiert une énergie centuple dans la collectivité sociale. Les cyniques, qui traitèrent de préjugé l’observation des convenances et osèrent s’en affranchir, ne furent guère moins détestés que les voleurs et les adultères : ils ne blessaient pas rien que le goût, ils violaient le respect public, c’est-à-dire, de toutes les facultés de l’âme la plus intolérante, la conscience. Le condamné même qu’on envoie au supplice, la société veut qu’il soit respecté : la Convention condamna à un mois de prison le valet de bourreau qui avait souffleté la tête de Charlotte Corday. Quelle manifestation plus frappante du sentiment profond de la Justice que ce cérémonial sur l’échafaud ! Et quelle puérilité de l’expliquer par un pur rationalisme, comme si la nation était sensible à l’injure et qu’elle réclamât vengeance ! Que la société se venge, c’est déjà un fait que n’explique nullement la théorie purement rationnelle du droit ; mais qu’elle se respecte dans sa victime, qu’en conséquence de ce respect l’exécution, de même que le jugement, ait lieu en