Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/53

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pédagogie chrétienne, quand, le temps des éclosions généreuses passé, la défaillance de la foi les livre sans défense aux flammes de l’immoralité. Mais la société moderne, si hypocrite, si lâche, si désespérée, n’est-elle donc pas fille de l’Église ? Nos pères ne furent-ils pas élevés par elle selon les principes de cette prophylactique sacrée ? Et n’avons-nous pas aussi, depuis un siècle, par la critique, la science, la liberté, épuisé ce que nous avions de ferveur ? Or, à présent que l’indifférence nous a tous envahis, n’est-il pas vrai qu’une corruption universelle nous dévore, corruption de l’esprit, corruption du cœur, corruption des sens ; des vices qu’une imagination jadis pieuse pouvait seule inventer, et que le monde, sans la religion, sans l’idéal qui est son essence, n’eût jamais connus ?…

XVIII

La Religion et la Justice sont entre elles comme les deux extrémités du balancier : quand l’une s’élève, l’autre descend ; cela est fatal. Ne criez pas au paradoxe : c’est le plus pur de la doctrine des mystiques et des ascètes que je viens de résumer dans cette image.

Ce n’est pas assez pour le parfait de tendre à la possession de Dieu par l’inutilité de sa vie et l’anéantissement de sa volonté ; il faut qu’il prouve son amour par l’anéantissement de sa Justice propre, fausse lueur, selon lui, incapable de l’éclairer dans le chemin de la sainteté et de la béatitude. Comme il est mort au monde, à la philosophie, à la volupté, à l’orgueil, le parfait doit mourir encore à la conscience ; il serait indigne du ciel, sa vertu ferait tache à la Divinité, s’il conservait le moindre rayon qui ne fût pas de celle-ci. Ainsi, entre le réprouvé que la Justice divine livre à l’enfer et l’élu accueilli par la Miséricorde il n’y a pas, au point de vue de la moralité, de