Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/168

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Ainsi se trouve justifié le sentiment d’Aristote, que le drame est le premier des genres en littérature. Le poëme épique est une forme de jeunesse, tout au plus de rénovation politique et religieuse, mais qui ne convient plus à l’âge viril et juridique de l’humanité. Dirons-nous, avec d’ineptes critiques, que l’imagination a faibli, parce que l’histoire, le droit, la raison, la science, le travail, l’idée, en un mot, déborde ? Eh ! regardez-y de près, et vous verrez, chose merveilleuse ! que ce qui rend le travail du poëte impuissant et inutile, c’est que l’idéal existe tout formé dans les choses mêmes, et que, dans ce cycle fortuné, il n’est besoin pour les dire que de la vile prose.

Ici la France a devancé toutes ses rivales.

Avec un instinct merveilleux, elle juge la langue de ses vieux troubadours insuffisante ; elle l’oublie. Cette langue, exhumée récemment par une philologie savante, d’une parfaite régularité de formes, mais plate et niaise en son allure, comme sont généralement les patois, était à refondre : monument de la naïveté gauloise, elle ne pouvait, telle quelle, lutter contre les langues classiques, et porter dignement la pensée de la Révolution.

Je ne sache point qu’aucune nation s’y soit prise à deux fois pour produire sa langue : nous, comme saisis d’une autre idée, après avoir, les premiers parmi les races chrétiennes, créé la nôtre, nous avons mis trois siècles à la refaire. Et notez ceci : c’est surtout au moment où la réformation religieuse entraîne l’Europe que nous nous livrons à cette œuvre de grammaire et de bel esprit. De François Ier à Richelieu, 1515-1622, ou, si vous aimez mieux, de Rabelais à Malherbe, tout, en France, semble conduit par le diable : politique, guerre, religion, finances, commerce, agriculture, navigation ; il n’y a que la littérature qui prospère. Lisez les trois volumes de Michelet, la Renaissance, la Réforme, la Ligue, suite de folies, de