Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/218

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les deux sexes l’amour, qui n’en peut mais. C’est l’éternel sujet des élégies, héroïdes et lamentations amoureuses, auxquelles toutes les littératures accordent une si grande place, et dont il serait temps d’abandonner le thème par trop battu : car vraiment, depuis l’Ariane abandonnée des mythologues, il ne s’est dit absolument rien de nouveau.

Il est vrai que, l’homme ayant le privilége de survivre à sa propre génération, l’amour chez lui est capable d’une suite de reprises, comme si l’amant heureux, en revenant à la vie, ressuscitait du même coup à l’amour. Mais ces reprises n’égalent jamais en qualité et en puissance la première explosion ; elles diminuent progressivement d’énergie passionnelle et idéale. À l’enthousiasme primitif succède une expérience de volupté et un prurit des sens qui d’abord font illusion, mais qui bientôt dégénèrent en une habitude tyrannique et tournent à la dissolution. Alors l’idéal tombant toujours, une vague inquiétude saisit le cœur ; il semble à l’âme qu’après avoir tant aimé elle se retrouve vide ; et tout à coup, sans préméditation, sans songer à mal, le plus vertueux des amants se surprend en flagrant délit d’infidélité : il a découvert, chez une autre créature, un nouvel idéal.

L’inconstance en amour est dans l’ordre même des choses, et tout homme sans exception l’éprouve. Seulement cette inconstance est plus ou moins longue à se déclarer, soit que la qualité supérieure de l’objet aimé ou la rareté des rapprochements maintienne l’idéalité à son avantage ; soit que la puissance d’idéalisation de l’amant, son caractère, ses occupations, le rendent plus réfractaire à la tentation d’un nouveau sujet. Mais, la première infidélité commise, la voltige devient pour l’amour une ressource obligée ; et plus l’idéal se renouvelle, plus la lubricité devient intense.